Quand on se rend chaque soir au théâtre et qu’enfin l’on a le privilège d’assister à un moment aussi sublime que ce Rossignol, on s’en veut d’avoir tant tardé. Une heure bouleversante de théâtre, de poésie pure. Grandeur, beauté, sincérité, perfection de l’interprétation, tout, ici, subjugue.
D’une exceptionnelle intensité dramatique, interprétée avec une précision et une véracité qui bouleversent, la partition argotique et poétique mise en scène par Guy-Pierre Couleau transperce le cœur. Il en a confié l’interprétation à la stupéfiante Agathe Quelquejay, dont le jeu infiniment nuancé fait vivre chaque personnage de manière poignante : en un geste elle dit l’insupportable violence, en un chuchotement le piétinement de la dignité, en un regard l’attente éperdue d’une consolation… Ce sont tous les damnés de la terre, tous les laissés-pour-compte qui trouvent ici une voix qui les représente, un corps qui les incarne, sans afféterie ni sensiblerie.
"Les lumières de Laurent Schneegans dessinent sur les murs de la cave voutée le titre de chaque poème, qui raconte une histoire dont s’empare Agathe Quelquejay avec une vérité stupéfiante. On est transporté dans les bas-fonds de l’humanité, les tréfonds de l’âme humaine : situations déchirantes d’enfants maltraités, de fille perdue, de mère ayant abandonné son enfant, prière à notre-dame ou encore « berceuse à un pas-de-chance ». Cette langue faite d’apocopes, truffée d’argot du peuple, est d’une musicalité totale. Faite pour être dite, entendue, elle trouve ici avec Agathe Quelquejay une interprète exceptionnelle. La puissante et délicate comédienne joue les situations, comme chaque personnage, dans une interiorité profonde et fait intensément résonner cette langue d’une beauté fracassante, bouleversante." Annie Chénieux
" L'ARGOT COLORÉ du poète montmartrois Jehan-Rictus (1867-1933), la comédienne Agathe Quelquejay le parle comme personne. (...) Tout cela n'a pas pris une ride et est mis en scène par Guy-Pierre Couleau, qui joue sur la sobriété : juste des bougies vacillantes pour décor et un jeu de lumières aussi impeccable que la bande son. De quoi redonner à Rictus le sourire ! " Mathieu Perez
"Le jeu de l'unique interprète (...) change à chaque étape ; il est toujours d'une folle intensité, d'un trop plein de vie sans débordements pathétiques , et capable de trouver pas à pas les différentes dignités de la douleur. C'est dire qu'ici, le théâtre, à l'un de ses niveaux les plus hauts, estomaque mais ne cherche pas à tétaniser le spectateur (comme le font si bien certains auteurs anglais de la violence). Les coups qui vous atteignent à votre poitrine de spectateur viennent heurter et ouvrir vos coffres-forts intimes d'amour et de beauté, ce qui est infiniment bienfaisant."
Gilles Costaz
"Dans cet écrin de la salle en pierre de l’Essaïon, Guy-Pierre Couleau signe une mise en scène d’une beauté saisissante. Par les couleurs, on songe aux peintures de Théophile-Alexandre Steinlen et aux illustrations de Francisque Poulbot.Avec ses cheveux courts, son joli minois, sa silhouette androgyne, Agathe Quelquejay est exceptionnelle. Dans un jeu lumineux, elle fait vibrer cette belle langue argotique de Rictus et les maux de son époque, si cruellement actuels. C’est magnifique." Marie-Céline Nivière
" Agathe Quelquejay est éblouissante : elle vit les situations qu'elle dit avec tant d'émotions, avec tout son cœur et toute son âme. Elle semble jouer sa vie sur scène, les mots de Jehan-Rictus semblent être les siens. On est transporté par son incarnation de chaque personnage. C'est comme si on était partie intégrante de l'histoire tant tout sonne juste. On voit tout ce qui est évoqué avec une si grande conviction, une si grande émotion, une émotion à fleur de peau qui nous remue le cœur. (...) C'est un spectacle admirable, mis en scène de façon magistrale par Guy-Pierre Couleau, qui a su mettre en valeur cette interprète qui apparaît touchée par la grâce. (...) Une performance qui tient de l'exploit. " David Season
Chantiers de culture
"Une poésie rebelle dont s’empare Agathe Quelquejay avec gourmandise, bouleversante de naturel et de sincérité. Un spectacle incisif et persuasif, qui ne dure que le tour du cadran, mais quelle prestation : flamboyante dans sa simplicité, foudroyante dans sa vérité !Dans les catacombes du théâtre de l’Essaïon, espace de pierre confiné mais superbement éclairé, la magie opère. Du corps et de la voix, slameuse ou rappeuse des temps présents, la comédienne s’improvise Cour des miracles : petite fille gémissante ou consolante, gamine en quête d’amour, jeune prostituée en mal de rédemption ou mère éplorée… Mises en partition par Guy-Pierre Couleau, les multiples facettes d’un petit peuple où c’est d’abord l’enfant qui trinque, égaré dans le monde des adultes, victime en première ligne de la pauvreté et de l’oisiveté ! Un spectacle d’une sidérante modernité, d’une fascinante beauté d’où émerge un rayon de soleil sous un ciel de poussière." Yonnel Liégeois
"La mise en scène de Guy-Pierre Couleau fait la part belle, dans un décor dépouillé, à l’expressivité corporelle de l’interprète Agathe Quelquejay, étincelante dans la souffrance chorégraphiée comme dans la sérénité. Après avoir contraint et fait plier son corps dans des mouvements dansés de crispation et de tension, elle se déploie dans l’espace, entre grâce et douceur. Et pour la « Jasante de la vieille », l’actrice revêt une robe moirée somptueuse, celle de la Mère. Musiques et chansons actuelles livrent respiration et repos(...)
Agathe Quelquejay est fille, garçon ou adolescent, mère âgée, jouant des métamorphoses du visage, de la posture, de la voix ou de l’intonation, jouant avec la musique des mots, parlant un argot capté d’emblée, significatif de la condition du Pauvre de tous les temps, aujourd’hui « migrant », « réfugié », « sans papier », « sans abri. »
Ecoutez-la et entendez-les."
Véronique Hotte
"La force du ravissement !
« Rossignol à la langue pourrie, récits d’amour et de misère en langue populaire », est un spectacle – et non pas un récital – rassemblant six poèmes de Jehan Rictus*. La mise en scène évite le double écueil de l’exotisme et du misérabilisme. Autant dire que l’on est captivé par un jeu, une musique, des lumières et une chorégraphie qui vont tous dans le même sens, celui d’un réalisme cru et néanmoins délicat dans son expression, qui sauve ainsi la dignité des personnages. Le chemin d’interprétation emprunté ici est, toutes choses égales par ailleurs, comparable à celui pris depuis longtemps par Salgado en matière de photographie.
La demande, la tension, la dignité, la souffrance, la dépendance, tout est déjà là dans le jeu muet qui introduit le spectacle. Le reste suit, sans accroc, sans jamais lâcher le spectateur. La musique, actuelle, ce qui évite de tomber dans la caricature datée, est à l’aune du reste. On est conquis."
Pierre FRANÇOIS